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Nous soussignés, membres de communautés universitaires et scientifiques belges et européennes qui suivons de près ou de plus loin les évolutions en Afrique centrale, avons pris le parti, à titre individuel, de nous élever contre la faible pro-activité des principaux acteurs politiques qui ont en charge la gestion de la crise des Grands Lacs africains. Nous nous sentons interpellés plus particulièrement par les très graves dérives qui se sont accélérées depuis plusieurs mois dans l’Est de la République démocratique du Congo. Les pillages, les viols, la mise en esclavage sexuel des femmes, la poursuite des recrutements d’enfants soldats, les meurtres et les enlèvements ciblés de notables locaux et de journalistes qui sont perpétrés dans les deux Kivu (mais aussi ailleurs) tant par des bandes armées hors-la-loi sans aucun agenda politique et des trafiquants d’armes de tous bords que par une armée congolaise qui n’est pas digne de ce nom, sont inacceptables.
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Au Président Kabila, qui est aussi constitutionnellement chef des armées, nous souhaiterions dire que la légitimité qu’il a tiré des urnes ne fait pas l’économie de celle qu’il doit tirer en priorité de la pacification du pays. Celle-ci ne pourra être atteint par de simples changements de titulaires au niveau d’un Etat-major calfeutré dans la capitale ou par des démonstrations de force disproportionnées, des tirs de canons et de mortiers par une garde républicaine qui n’a toujours pas de statut légal. Qu’elle soit « brassée » ou mixée », la nouvelle armée intégrée qui a une capacité importante de nuisance, surtout à l’est du pays (mais pas seulement), doit être avant tout casernée. Ses officiers ou sous-officiers responsables de crimes contre l’humanité doivent être poursuivis impitoyablement et instantanément par des tribunaux militaires qui doivent cesser de vouloir interférer dans ce qui relève du droit pénal civil ou protéger les leurs.
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À la Mission des Nations unies au Congo (MONUC) et à ses responsables à New York, qui se disent régulièrement « préoccupés » « inquiets » ou « interpellés » par les dérives en matière de droits humains, nous disons que, si des modifications ont finalement eu lieu sur papier en ce qui concerne le mandat des casques bleus sur le terrain, on est loin du compte quant à une attitude véritablement proactive. Le recours à la force, désormais autorisé par le Conseil de Sécurité en cas de « menace sur le processus politique » (article 2/k de la résolution du 15 mai 2007), devrait permettre en tout état de cause de venir à bout des bandes armées totalement hétéroclites qui sont estimées par la MONUC elle-même à seulement quelque 6.000 hommes parfaitement localisés par ses services de renseignement comme par des associations congolaises locales avec lesquelles la mission n’a que des rapports volontairement très distants. Il faudrait que cesse au plus vite ce « renvoi d’ascenseur » perpétuel entre la MONUC et les dirigeants congolais concernés. Il faudrait aussi mettre une fin définitive aux provocations incessantes du « général » félon Laurent Nkunda qui entretient l’ambiguïté sur le « ralliement » des quelques milliers de soldats qui lui seraient fidèles. Nous invitons enfin les stratèges onusiens de New York ou de Kinshasa à relire Clausewitz pour qui « la guerre doit être en parfaite continuité avec le temps politique qu’elle n’altère pas ». En voulant séparer le champ diplomatique de celui du « militaire », le « pacifisme » onusien relève d’un mirage : « soldats de la paix » et « soldats de la guerre » sont, comme Janus, les deux faces d’une même exigence.
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À l’Union européenne, qui dit vouloir réserver une grande importance au dossier des Grands Lacs, qui a investi près de 500 millions d’euros dans le processus électoral et qui vient de réaliser récemment l’importance du champ sécuritaire, nous aimerions dire qu’elle doit elle aussi être plus conséquente avec elle-même. Après avoir réussi l’opération Artémis qui, en 2003, a sauvé la mise pour un contingent de la Monuc encerclé par des bandes armées à Bunia, après avoir lancé le mécanisme EUSEC l’autorisant à prendre en charge la réforme des services de sécurité, après avoir finalement décidé — non sans beaucoup d’atermoiements — d’épauler cette MONUC dans le cadre de la surveillance du processus électoral en 2006, elle vient de doter d’un nouvel outil, baptisé « centre d’opération » qui, autonome par rapport à l’Otan et aux quartiers généraux nationaux européens, est un outil pouvant déployer, dans les quinze jours et pour quatre mois, des forces d’intervention civilo-militaires rapides sur des théâtres d’opérations extra-européens. Pourquoi ne pas déployer dans l’est du Congo une telle force qui aurait certainement beaucoup plus de crédibilité et d’effet dissuasif que les casques bleus de la MONUC dans lesquels les populations locales n’ont, à quelques exceptions près, plus confiance depuis qu’elles sont restées l’arme au pied à Bukavu et à Bunyakiri en 2004, à Kinshasa en août 2006 et en mars 2007 ?
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Les désastres humains n’ont que trop duré en Afrique. Tant « l’appropriation africaine » (African ownership) que le « partenariat » sont des slogans de plus en plus vides, ne rassurant que des diplomaties frileuses qui ne s’alimentent plus qu’à une langue de bois futile et déconnectée du terrain.